par Jean Marie Lassausse

Vivant en Algérie depuis 20 ans et en monde arabo-musulman depuis 40 ans, je pense que le thème de la « ville » est particulièrement bien choisi dans les circonstances que nous vivons depuis le mois de février. Les restes des villes romaines , en Algérie, de Tipaza, Timgad et Djemila nous ont laissé des agoras, lieux de rencontre très prisés par nos ancêtres à l’entrée des villes, tout était pensé, conçu pour la rencontre. Qu’en vivons nous aujourd’hui ?
Je choisirai deux exemples vécus en Algérie : Le « Hirak », vaste mouvement de contestation pour déloger Monsieur Bouteflika mais surtout, pour la jeunesse, pour relever la tête face à la « hogra », c’est-à-dire  le fait que les autorités publiques se moquent depuis 1962, date de l’indépendance algérienne, du peuple qui n’a pas droit à la parole, dont on se moque, qui vit dans la soumission. Evidemment le pouvoir a essayé par tous les moyens de casser ce mouvement de contestation par les arrestations des hommes et femmes-symboles de cette révolution qui a duré une année et qui est sous les cendres, attendant un léger souffle de liberté pour repartir à l’assaut. Déclenchée par la jeunesse étudiante des universités, rejointe par les ouvriers, les femmes, le corps médical et ensuite par toute une population, la manifestation du vendredi, après la prière rituelle des mosquées et ensuite chaque mardi pour les étudiants, cette manifestation criait le mal-vivre, les abus de pouvoir, la rancœur accumulée, le manque de perspectives pour la jeunesse, le chômage endémique, la volonté de pouvoir circuler librement, de voyager à l’étranger. Comme étranger évidemment, je n’ai pas pu participer à ces manifestations qui étaient aussi des moments de fête, mais je sortais sur le trottoir pour lire les multiples pancartes en arabe, en français, en kabyle. Cela m’intéressait pour sentir le pouls de ce peuple en révolte. La troisième fois que je suis sorti, l ‘officier de police  chargé des étrangers à Mostaganem, en vêtements civils m’a arrêté et m’a demandé de rentrer immédiatement chez moi, ce que j’ai fait sans dire un mot, sinon ça allait vers la confiscation des papiers de résidence. La crise du corona virus a donné du petit lait aux autorités pour interdire facilement la prolongation de ces manifestations tout à fait pacifiques. J’ai trouvé cet ordre sans discussion exagéré pour quelqu’un qui est présent en Algérie depuis 20 ans.
Le deuxième exemple que j’ai choisi est celui de la crise sanitaire que nous vivons, certes dans le monde entier. En Algérie, la parabole des personnes contaminées n’est apparue qu’à la mi-juillet et les mesures de prévention et de lutte contre ce virus ont laminé tous les petits métiers du marché informel et Dieu sait si à Mostaganem ce marché noir est important, fait vivre énormément de familles humbles, qui n’ont pas d’assurance sociales, qui vivent au jour le jour pour nourrir la famille, pour survivre. Combien de fois j’aurais voulu aider quelques familles et en particulier des familles de migrants de l’Afrique subsaharienne, vivant dans des ghettos, en couple ou célibataires., mais nous sommes très surveillés et des indicateurs nous côtoient tous les jours dans nos démarches. J’ai connu par le biais du service de visites aux prisonniers africains (pour les Algériens les Africains sont les personnes de couleur noire) un couple nigérian : la femme Nathalie et l’enfant Precious vivent en location au Nigeria et le mari  Steven a fait 18 mois de prison en Algérie, récupéré sur la mer dans une embarcation de fortune et  mis en prison, je le visitais chaque 15  jours. Le jours de sa libération, l’officier de police du commissariat de police jouxtant l’immense prison m’a téléphoné le soir de sa libération pour que je vienne le chercher. Il était libre, le corona empêchait tout transfert en convoi avec d’autres vers Tamanrasset, ensuite à la frontière du Niger, lâchés comme des chiens sur une autoroute par des vacanciers peu scrupuleux.
Voila deux exemples qui nous disent comme la ville génère de nouvelles pauvretés, accumulées, grandies par la situation de  la politique  chaotique de l’Algérie. Spécialement vis-à-vis de l’étranger. Ces étrangers, subsahariens, sont des milliers à attendre un éventuel départ pour l’Europe, sans illusions. Il faut bien manger, se loger, la ville est aussi , vu les urgences un lieu de solidarités . où chaque peuple se serre les coudes pour traverser les épreuves. Mais comment trouvez le mot juste, l’attitude qui convienne pour aider, soulager la misère de ces personnes  à la recherche d’un mieux-vivre pour leur famille. En tout cas en Algérie, ce n’est pas facile qu’un étranger européen s’intéresse aux problème des autres et tout particulièrement des Algériens eux-mêmes et des migrants.

Jean Marie Lassausse è agronomo ed educatore a Mostaganem, Oran