par Philippe Haddad

Dans la Bible la première ville est construite après que Caïn ait assassiné son frère Abel. L’histoire de la ville biblique commence comme dans le récit de naissance de Rome quand Romulus tue Remus. Est-ce que la Ville n’est pas le lieu où l’homme sort de son animalité, de son agressivité pour vivre en paix avec les autres hommes ? S’unir contre l’agression de la nature (les animaux, les forces de la nature, etc.)
Le mot HYR « ville » en hébreu vient d’une racine qui veut dire « éveil ». Ce mot est l’anagramme de YAHAR = forêt.  La ville porte l’éveil de l’humanité, quand l’homme sort de sa caverne, quand il sort de la « forêt » des prédateurs, et qu’il commence a forgé ses outils de travail pour apprendre à partager l’espace. 
Qu’est-ce qu’une ville ? En fait tout dépend de ce qu’on y mettra.
Martin Heidegger a écrit « bâtir, habiter, penser ». Le philosophe pense que la finalité de l’urbanisme s’exprime dans la pensée, dans la philosophie. 
Caïn, qui sait maintenant qu’il est violent – que tout homme peut basculer dans la mort de l’autre, en acte, en parole ou en pensée – nommera sa ville comme le nom de son fils Hanokh. En hébreu, Hanokh nom signifie « Education ». La philosophie ne suffit pas, car le philosophe se contente de sa solitude, comme le penseur de Rodin, mais l’éducation, implique le rapport des générations. On peut être dans la ville et tout seul, tellement seul devant son écran, enfermer dans ses propres désirs, et ne pas se soucier de ses enfants, de son avenir.
Quand les enfants sont livrés à eux–mêmes, sans projet d’espérance, ils peuvent devenir délinquants. Et la violence originelle ressurgira, la ville ressemblera à une jungle, à une forêt sauvage, soumise à la loi du plus fort.
La ville biblique la plus célèbre se nomme Babel. Tous les hommes parlent la même langue et, tous ensemble, ils décident de construire une ville et une tour pour monter jusqu’au ciel. Projet mégalomane ? Dieu descend au milieu des hommes, et il fait éclater la langue originelle en 70 langues ; ainsi les 70 peuples, (ce chiffre symbolise l’universel) sont nés. Dieu serait-il contre les projets d’union nationale ? 
La tradition juive explique que Dieu est contre la reproduction du même. Dieu n’a jamais cloné une seule de ses créatures. Mêmes des vrais jumeaux homozygotes présentent des différences.
Une ville sans différences, sans alternative, sans un échange entre l’autochtone et l’étranger, sans la rencontre entre le sédentaire et le nomade, sans l’association Tonalestate, reflète un impérialisme. Toutes les dictatures religieuse ou politiques rêvent d’un monde pur, purifié, sans différence : une seule religion, une seule race. La différence nous fait peur de loin, mais elle nous gratifie de près. Et Dieu est contre le fondamentalisme. 
C’est une bénédiction quand dans une ville il existe différents croyants, différentes cultures, différentes couleurs de peau, car ainsi, idéalement, personne ne peut se revendiquer de la totalité. L’autre sera la part que je n’aurai jamais, et l’un et l’autre forme l’unité, comme le masculin et le féminin.
La ville idéale se nomme Jérusalem, Yéroushalayim, pour les Hébreux, pour les Juifs. Un Grec dirait Athènes, un Italien dirait Rome et un Chinois Pékin. Peu importe ! L’important est la vision que l’on se fait de sa capitale. 
Pour les rabbins, il existe deux Jérusalem, la Jérusalem d’en bas et la Jérusalem d’en haut. La Jérusalem des hommes qui essayent de se vivre ensemble et la Jérusalem de Dieu qui a déjà réaliser la paix dans les Cieux. Entre ces deux Jérusalem se joue la dialectique entre le politique et l’utopique. 
Jérusalem constitue un baromètre de la paix et de la non paix. Les Juifs, les Chrétiens, les Musulmans la revendiquent chacun pour des raisons différentes, mais c’est la même ville. Jérusalem, Yéroushalayim, Al Quods. Trois enfants disent : « c’est mon papa, c’est ma maman » ; mais le papa et la maman disent à chaque enfant « tu es mon enfant ! »
L’espérance juive, c’est que la Jérusalem céleste, rejoigne la Jérusalem terrestre. Pour cela il faut une politique écologique (pour la tradition juive, il est interdit de vivre dans une ville sans arbre) sans trop de décibels, avec contrôle de la pollution, avec des lieux piétons, des espaces de rencontre, il faut une politique urbaine, pour le déplacement harmonieux des personnes, avec des habitations à taille humaine, avec des lieux pour les sportifs, les intellectuels, les artistes, les enfants, les adultes, les anciens.
Il faut surtout un espace où les différences soient source d’enrichissement, de bonheur, de fraternité. En fait il faut une politique éducative qui enseigne le respect des personnes et des lieux.
Il existe une image publicitaire en France. Elle montre un coin de route avec plein de détritus et en dessous il est écrit : « est-ce que vous feriez cela chez vous ? »
La Ville ce n’est pas un espace anonyme, un lieu abandonné ; une ville est le prolongement de la maison, la maison pour l’intimité familiale, mais la ville est pour le vivre ensemble, le partage du monde qui ne appartient pas, qui appartient à Dieu, si nous sommes croyants, mais qui appartient aussi à nos petits-enfants, que nous soyons croyants ou non.
Construire une ville, habiter une ville, penser une ville nous ramène toujours à l’éducation, le nom de la première ville selon la Bible.
Nous ne sommes pas tous des urbanistes, des architectes, des maires ou des responsables communaux, mais nous sommes au moins habitant du monde et selon l’expression des rabbins, je suis responsable des 2 mètres carrés qui m’entourent. 
« Que ta ville de 2 mètres carrés devienne le modèle de la ville dont tu rêves » disait un rabbi.
Et je suis sûr que cette ville de nos rêves à tous est construite avec les pierres de la paix et le ciment de l’amour.

Philippe Haddad è rabbino alla Sinagoga di rue Copernic, Parigi